Motricité et Autisme

Motricité et Autisme

Pour inaugurer une nouvelle formule éditoriale, à savoir un bulletin scientifique « à thème », nous avons choisi de présenter et de développer les savoirs récents concernant la motricité des personnes avec autisme. Ce numéro spécial se propose de suivre l’actualité de travaux de chercheurs et de professionnels impliqués dans l’autisme. À première vue, les troubles de la motricité dans les TSA 1 semblent bien loin des préoccupations : qualifiés de trop imprécis ou trop « bas nivu » !ea

Qu’on ne s’y trompe pas, ces troubles requièrent une approche multidisciplinaire et une expertise très précise, tant au niveau clinique qu’au niveau de la recherche. La controverse est toujours ouverte sur la place de ces troubles dans l’autisme infantile : selon les publications, c’est le « tout » ou « rien ».

Du point de vue des diagnosticiens :

le vide sémiologique dans ce domaine a plusieurs raisons : des examens neurologiques trop longs, trop raffinés, trop peu utilisés au quotidien du pédiatre ; des difficultés pour examiner un enfant avec des troubles de com- portement au-delà de deux ans, en raison de son refus de participer ; les résultats, basés sur une dysfonction motrice elle-même labile, âge-dépendante, souvent au premier plan dans les deux premières années de la vie puis s’estompant au profit de dysfonctions dans d’autres domaines.

Et pourtant, en observant le développement de leur enfant, les parents peuvent parfois s’étonner d’un ou plusieurs points retrouvés de façon répétée, les observations isolées ou occasionnelles ayant peu d’intérêt.

Les plus fréquentes, repérées par la famille, portent sur des difficultés persistantes à téter, à ne pas tenir sa tête à 4 mois « corrigés » (pour les anciens prématurés, l’âge d’état civil est corrigé : le calcul part de la date prévue du terme et non de la date de naissance).

Ces dysfonctionnements développementaux, malencontreusement qualifiés de « retards », attirent l’attention de l’entourage, du pédiatre et des thérapeutes du développement appelés à la rescousse. Il peut s’agir de décalage qualitatif dans les acquisitions motrices avec impossibilité de dérouler le « calendrier moteur » en temps et en heure ou la dysharmonie dans sa mise en place, avec le plus souvent une hypotonie globale.

Il peut également s’agir de biaisage dans la prise de contact oculaire, d’une succion peu efficace, ainsi qu’une hyperexitabilité réactivée par toute stimulation. Puis l’organisation d’une démarche en équin, continue, exagérée par la vitesse de déplacement (par exemple la course) vient se combiner avec l’apparition de stéréotypies motrices variées.

Pourquoi porter une telle attention au développement moteur ?

Parce que le calendrier moteur est assez précis, malgré des variations individuelles et parce que les difficultés motrices rendent plus attentif sur d’autres domaines du développement (le comportement, la communication, le sommeil, l’alimentation). Les inquiétudes ne sont pas forcément marqueurs de problèmes graves, mais vont nécessiter une vigilance accrue.

Des dysfonctions sensorielles sont également repérables précocement, ajoutant ainsi aux inquiétudes. Il s’agira d’hyper ou d’hypo discriminations précoces pouvant toucher toutes les sensorialités : olfaction, gustation, tact, équilibration en plus de la vision et de l’audition, plus accessibles aux investigations. La préoccupation concernant ces troubles précoces mobilise les cliniciens depuis des décennies, avec jusqu’à présent peu d’écho dans la communauté scientifique. Le concept Early Symptomatic Syndromes Eliciting Neurodevelopment Clinical Examinations (ESSENCE) développé par le Prof. Gillbert au cours de la récente Université d’Automne de l’ARAPI (édition 2015) vient enfin appuyer nos recherches en ce sens, bien mises en évidence dans l’examen neuropédiatrique ATNAT 2 depuis les années 90. La plupart du temps, les décalages dans les acquisitions, ou la dysharmonie dans le déroulement de ce calendrier moteur sont accompagnés par une plus ou moins grande hypotonie globale.

La motricité pourrait être explorée selon plusieurs modalités :

la motricité spontanée:

In utero, le bébé bougeait beaucoup, ses exercices préparatoires étaient facilités par le milieu aquatique, mais limités en amplitude par le manque d’espace. Puis, dans les premières semaines de sa vie, sur la table à langer, il bouge par vagues ; les mouvements de ses bras, de ses jambes et de son corps sont harmonieux ; il semble y prendre plaisir ; ses mains s’ouvrent. Il s’immobilise quand il fixe son attention.

Plus tard, l’enfant fait des acquisitions selon un calendrier lié à la maturation de son cerveau mais aussi aux sollicitations de son environnement. Tout d’abord, c’est la motricité globale qui est concernée, c’est à dire le maintien et le déplacement ; puis, dans la prise et la manipulation d’objets de plus en plus petits, c’est la motricité fine, la gestuelle.

L’état de tension de ses muscles change aussi avec l’âge : on voit cette évolution à la position de ses membres : jusqu’à 3 mois, les 4 membres sont repliés près du corps ; vers 3 mois les membres supérieurs se déplient ; puis vers 6 mois les membres inférieurs se relâchent également. Pendant les premiers mois, l’enfant est très contracté, il est difficile pour lui d’enfiler les manches de son manteau. Vers 10 mois, il est complètement souple, il n’y a plus de résistance et l’amplitude de ses mouvements est complète.

Jusqu’à la marche, le fil conducteur de la maturation neuromotrice se résume grossièrement par la « vague ascendante » de myélinisation des voies corticospinales ; le contrôle « cortical » progresse très rapidement de la tête vers les pieds et « recouvre » complètement le contrôle sous cortical si apparent à la période néonatale.

Le premier indice du contrôle moteur supérieur est à rechercher au niveau du cou par la manoeuvre du tiré-assis, témoignant de la contraction active des fléchisseurs du cou et des muscles extenseurs du cou qui aboutit à deux mois en moyenne au contrôle de la tête.

À la même période, la réaction d’extension en position debout diminue puis disparaît, alors que le tonus actif de l’axe continue à se développer pour permettre la position assise à sept mois en moyenne. La station debout va ensuite apparaître sous forme volontaire et la marche indépendante être acquise à treize mois en moyenne.

la motricité empêchée :

—  En situation extrême : l’expérience vécue par les enfants placés dans les orphelinats de Roumanie, pendant les années « Ceaucescu » a été très particulière. En effet, l’interdiction de descendre des lits à barreaux avant l’âge de deux ans était stricte. La conséquence, outre des répercussions sur la forme des têtes de leurs fémurs, était un décalage dans l’acquisition de la marche. Mais, et ceci supposerait une recherche approfondie, celle-ci se perfectionnait très rapidement sitôt la possibilité de s’exercer reprise, une semaine plus tard environ à la manière d’un ressort fonctionnel qui se détendrait enfin, après avoir été maintenu comprimé.

—  Du fait d’une pathologie : une lésion au cerveau, une grande prématurité, une hydrocéphalie, certaines anomalies génétiques ou une pathologie périphérique comme une myopathie, entraînent des séquelles motrices. Toutefois, celles-ci ne sont pas identiques, ni dans leur intensité, ni dans leur répercussion sur le développement général de l’enfant.

—  Dans le cadre des TSA, l’activité spontanée est pauvre, ritualisée ou stéréotypée. Parfois une échopraxie (imitation des gestes des autres) vient se surajouter ainsi que des stéréotypies gestuelles et posturales, de tous ordres. L’enfant garde le dos rond quand il est placé en position assise alors qu’il a 8 mois ; il ne tient pas assis à 9 mois corrigés ; il ne marche pas à 18 mois corrigés et garde les membres inférieurs très écartés, tombe très souvent alors qu’il marche déjà depuis plusieurs mois. Sa démarche reste maladroite; il est lent à apprendre à courir, à monter et surtout à descendre les escaliers. Il présente une maladresse générale dans les mouvements globaux mais aussi fins, avec une tendance à laisser tomber les objets, à trébucher et à buter sur les obstacles.

En quoi consiste l’optimalité neuromotrice ?

Elle ne se résume pas à l’apparition, une à une, des acquisitions sensorielles et motrices selon un calendrier bien défini, mais comme la mise à feu successive « des différents étages de la fusée » du développement moteur, ces étages pré-existant à leur actualisation, se précédant, se succédant en interférences.

Si le déroulement typique du calendrier moteur est utile, donnant des indications fonctionnelles binaires (par exemple, il tient assis/il ne tient pas assis, il tient debout/il ne tient pas debout, il marche/il ne marche pas), il ne remplace pas l’examen précis du pédiatre, basé sur la neurologie. En effet, un délai dans les acquisitions recouvrent le plus souvent des déviances dans les performances motrices mais aussi dans l’ensemble du développement de l’enfant.

Si les inquiétudes se précisent, la recherche systématique de signes neuromoteurs peut mettre en évidence une symptomatologie précoce, même mineure. Ces signes serviront de fil conducteur dans l’interprétation des dysfonctions successives, qui sont âge-dépendantes.

L’étude de ces dysfonctions (troubles de la marche, troubles sensorimoteurs, difficultés dans la mise en place des apprentissages de base : imitation, théorie de l’esprit, mémorisation puis communication verbale, fonctions exécutives. . .) permettra de repérer, de dépister, de diagnostiquer plus rapidement, suivi par une intervention plus précoce, plus précise, avec toutes les compétences que les enfants sont en droit d’attendre.

Toutes les fonctions motrices peuvent être atteintes :

la répartition du tonus, les fonctions de coordination visuo-manuelle, d’anticipation des ajustements posturaux, d’organisation du mouvement et d’intention qui supposent une motivation pour agir et l’organisation de l’action pour un but. La désorganisation souvent constatée pourrait être considérée comme un signe précoce entrainant une intervention, afin de prévenir autant que faire se peut la désorganisation éventuelle des fonctions exécutives. Un programme d’intervention précoce sera organisé, sans retard, en partenariat avec la famille et l’entourage élargi, dans l’intérêt de l’enfant.

Les articles, faisant l’objet de ce bulletin consacré à la motricité dans les TSA , se donnent comme objectif de décrire l’évolution des connaissances et des interrogations dans ce domaine.

Il faut admettre un véritable changement de paradigme, les données actuelles permettant de remettre en question un certain nombre d’idées reçues à propos de la motricité, tel que l’existence de « patterns » réflexes permettant, lorsqu’ils sont sollicités, d’automatiser l’ensemble de l’activité posturale et gestuelle.

Avant d’exposer les problèmes spécifiques de la motricité chez les personnes avec TSA, il nous a paru indispensable de refaire le point sur le développement de la motricité et son expression globale, à savoir la marche.

Le Bulletin scientifique de l’arapi – numéro 35 – été 2015